Petit manuel de survie pour entreprises en crise

Adrien
9 min readFeb 17, 2021

… ou que doit faire un.e chef.fe d’entreprise en cas de crise ? Quels sont les bons réflexes à adopter pour s’en sortir ?

Ascension du Grand Paradis — septembre 2020

Il y a deux semaines, nous avons publié sur LinkedIn — avec beaucoup de fierté — les résultats de Panopli.co en 2020 malgré celui-dont-on-ne-veut-plus-prononcer-le-nom (je dis LE covid, oui).

Suite à cette publication, vous avez été très nombreux à nous écrire pour nous demander comment nous avions fait, et si nous avions quelques conseils à donner. Il faut avouer qu’avec 6 ans d’entrepreneuriat dans les pattes, on a déjà eu notre lot de galères : on a frôlé à plusieurs reprises la faillite, été dos au mur une bonne dizaine de fois, et on compte presque autant de pivots. En témoigne les 18 déménagements qu’on a au compteur !

Nous avons donc décidé de prendre la plume pour revenir sur cette année si particulière et essayer d’en tirer des apprentissages que l’on espère utiles pour vous.

Pour celles et ceux qui n’ont pas le temps, voici la version light des réflexes à adopter en cas de crise :

  1. Mesurer l’ampleur des dégâts
  • Savoir exactement ce qu’il vous reste
  • Estimer froidement ce qui peut encore rentrer

2. Assurer sa longévité

  • Renforcer votre position (comprendre ici sa trésorerie)
  • Réduire sa voilure

3. S’adapter à son nouvel environnement

  • Se demander “de quoi vos clients ont-ils besoin ?” et non “que vais-je bien pouvoir leur vendre ?”

(nb: ce schéma s’adapte aussi si vous êtes perdu en mer ou en forêt cc Chilowé)

Ascension du Grand Paradis — septembre 2020

1 — Mesurer l’ampleur des dégâts

Pour bien comprendre la suite, je suis obligé de présenter brièvement Panopli : nous proposons des objets personnalisés responsables à des entreprises. Alors quand le COVID est arrivé en France, vous imaginez bien que nous avons été parmi les premiers touchés. Pour donner une idée de l’ampleur, la plupart des commandes que nous étions sur le point de finaliser fin février/début mars ont été gelées. Cela représentait un manque à gagner cumulé de 380k€…

L’année commençait bien.

Première leçon en temps de crise : agir vite.

Avec mes associés, nous nous sommes donnés une semaine pour définir notre stratégie, la présenter à notre équipe et nos investisseurs. On dit “stratégie” mais ça ressemblait plus à un plan de bataille.

Le premier réflexe à adopter est d’appeler vos clients pour prendre la température (sans mauvais jeu de mot). Nous nous sommes très vite rendus compte qu’ils attendaient d’en savoir plus pour valider leurs commandes, et qu’ils allaient devoir faire attention à leurs dépenses.

Il est important lors de ces entretiens de ne pas se mettre d’oeillères. Ce qu’il fallait comprendre de nos clients : les commandes sont annulées et tous les budgets sont gelés.

Cela nous a permis de remplir la ligne “chiffre d’affaires” de notre BP prévisionnel 2020 :

  • 0€ de CA sur Q2
  • 50% du CA 2019 sur Q3
  • Même niveau de CA qu’en 2019 pour Q4

Avec le niveau de trésorerie de l’époque, ce scénario voulait dire : encore 3 mois à vivre.

Départ du Grand Paradis — Septembre 2020

2 — Assurer sa longévité

Notre mission : faire en sorte que notre longévité dépasse les 12 mois. Si vous ne pouvez pas toucher à la ligne de revenu, il ne vous reste que 2 leviers :

  • Augmenter votre trésorerie
  • Réduire votre voilure

Augmenter sa trésorerie

Ici, vous avez 4 leviers à votre disposition :

  • les opérations de capital
  • l’endettement
  • les aides
  • jouer sur votre BFR

Notre levée de fond étant encore fraîche (mars 2020), les opérations de capital nous paraissaient impossible donc out. Si ce n’est pas votre cas, on vous conseille d’explorer les BSA Air qui sont des véhicules très pratiques pour faire rentrer de nouveaux investisseurs ou faire intervenir des associés existants, sans la lourdeur administrative d’une augmentation de capital. On avait déjà utilisé cet outil pour un bridge entre deux levées de fonds. Pratique pour gagner les quelques mois qu’il vous faut, pour finir de prouver votre modèle avant une levée de fonds ou un rachat.

Pour ce qui est de l’endettement, nous avons tout de suite appelé notre banquier. Notre objectif était double : négocier un emprunt et débloquer des autorisations de découvert. Notre banque nous a prêté 50k € et nous a accordé une autorisation de découvert de 20k €. Le revers de la médaille : l’emprunt a une clause de garantie personnelle, donc si on coule, on y perd aussi notre chemise.

En ce qui concerne les aides, voilà que nous avons fait :

  • Nous avons accéléré le dépôt du dossier de Crédit Impôt Innovation
  • Nous avons monté un dossier de Prêt Garanti Etat (obtenu seulement en juin)
  • Nous avons postulé aux différents réseaux proposant des prêts d’honneur (pas très pertinent avec du recul car ils réservent — à raison — leurs prêts d’honneur pour financer des plans de croissance et pas de la trésorerie)

Si vous vous posez des questions concernant les aides à débloquer, on vous conseille de parler à quelqu’un chez BPI ou à la chambre de commerce de votre région, ils sont souvent d’une très grande aide.

Enfin, pour la partie “jeux sur le BFR”, vous pouvez :

  • Négocier avec vos fournisseurs des délais de paiement — tout en étant compréhensif par rapport à leur situation
  • Relancer vos clients pour être réglé au plus vite — tout en étant compréhensif par rapport à leur situation

Réduire la voilure

C’est sans doute la partie la plus dure mais sur laquelle il faut être intransigeant. Il vaut mieux en faire trop que pas assez : trop, vous ne faites pas un cadeau à votre “vous du futur” mais si vous ne faites pas assez, il n’y a plus de “vous du futur”.

La méthode est donc la suivante : lister ses coûts (hors “rémunération”, on y viendra après) et les traiter par ordre croissant

  • Bureaux : sans perdre un instant, nous avons envoyé un mail à notre bailleur (coucou Manon) pour lui expliquer notre situation et lui dire que nous mettions fin à notre contrat. Manon de ComeAndWork a été très compréhensive, et nous a même proposé de mettre fin à notre location avant le terme du contrat, si elle trouvait des remplaçants. Cette opération nous a permis de ne pas payer de loyer pendant 3 mois avant de trouver de nouveaux bureaux à Saint-Ouen m
  • Prestations : renégociations avec notre cabinet d’expert comptable, nos avocats, suspension de nos dépenses en conseil et désabonnement à tous les logiciels jugés non-essentiels

Si cela suffit pour vous permettre de passer l’année, tant mieux, arrêtez ici votre lecture et passez directement au paragraphe suivant.

Dans notre cas, malgré tous les efforts que nous avions alors mis en place, cela ne suffisait pas et nous avons dû à contre-coeur explorer la ligne “rémunération”.

Voilà comment nous avons abordé cette délicate partie :

  • La décision la plus simple : reporter les cotisations sociales à septembre
  • La décision un peu plus dure : comme nous n’avions pas prévu d’activité, nous avons mis toutes nos équipes en chômage partiel (et les fondateurs à 50%) jusqu’au retour de l’activité
  • La décision la plus dure : comme cela ne suffisait toujours pas, nous avons dû nous séparer de 3 personnes.

Cette décision avait un goût très amer car nous sommes convaincus de la richesse et des compétences de toutes les personnes avec qui nous travaillons. Nous savions que nous allions nous séparer de vrais talents rares.

Comment avons-nous choisi ? Nous n’avons pas jugé nos employés sur leurs compétences personnelles mais nous avons fait le choix de raisonner par type de poste. Si je retire ce métier, est-ce que l’ensemble avance encore ?

Par ordre, nous avons opté pour ces 3 profils :

  • Senior Dev : cela ralentit notre cadence de nouvelles fonctionnalités, mais ne nous empêche pas de signer des contrats
  • Product Owner : même constat que développeur
  • Growth Hacker : les revenus escomptés ne sont pas aussi prévisibles que ceux d’un Sales et les retours sur investissement peuvent prendre plus de temps

Toutes ces décisions ont été prises en 2 jours, et nous avons occupé les 2 jours suivants à discuter individuellement avec chaque membre de l’équipe, leur présenter notre plan de survie et leur proposer de les inscrire à des formations ou des occupations associatives le temps du chômage partiel. Ce fût, pour être honnête, l’un des moments les plus durs de ma vie d’entrepreneur.

Ascension du Grand Paradis — septembre 2020

3. Adapter son offre à son environnement

Maintenant que notre survie n’était plus en jeu — en tout cas à court terme — la question était : qu’allons-nous faire pour vivre ?

Pour répondre à cette question, trop de personnes se demandent : “que vais-je vendre ?”. Nous ne croyons pas à cette approche qui cherche une solution sans réfléchir au problème. Nous sommes plutôt partisans de l’approche : “de quoi nos clients ont-ils besoin ?”

Nous avons donc pris nos téléphones et nous les avons appelés pour leur poser ces 3 questions :

  • Comment allez-vous ?
  • Quelles sont les difficultés que vous rencontrez actuellement ?
  • Comment pouvons-nous vous aider à diminuer ces difficultés ?

Nous avons identifié 2 pistes : protéger et réconforter ses collaborateurs.

Nous avons donc concentré nos efforts sur l’adaptation de notre proposition de valeur afin de répondre à ces 2 besoins.

Protéger

Pour protéger leurs collaborateurs, nos clients ont très vite eu besoin de masques et de gel hydro-alcoolique. Dès le début du premier confinement nous discutions avec nos ateliers en France et en Pologne pour passer de la production de tee-shirts à la confection de masques. Notre partenaire historique en France a tout d’abord eu peur de ce changement et n’a pas voulu nous accompagner dans cette voie (ils ont changé d’avis depuis et proposent des masques d’excellente qualité, 100% personnalisables et lavables 60 fois). Notre partenaire en Pologne n’avait quant à lui pas attendu notre coup de fil pour chambouler son organisation et ainsi produire des masques aux recommandations de l’AFNOR alors en vigueur.

C’est grâce à ça que nous avons ainsi pu équiper par exemple un réseau scolaire pour que les étudiants puissent passer leur examen en juin en toute sécurité (0 cluster créé pendant ces examens).

Résultat, en 2020, nous avons fabriqué et expédié plus de 120 000 masques pour protéger les employés de nos clients.

Réconforter

Pour attaquer ce volet, nous avons misé sur ce qui fait notre force et ce qui nous différencie sur le marché des objets publicitaires : notre technologie. Notre mission n’a jamais été de vendre des produits mais plutôt de proposer un service : nous sommes les seuls à proposer à nos clients de gérer leurs stocks pour leur faciliter la vie et ainsi offrir à leurs collaborateurs une expérience unique.

Notre technologie facilite le lien entre l’entreprise et ses employés :

  • Envoyer des petites attentions à tous vos collaborateurs en un clic
  • Accéder à votre stock en temps réel sans avoir à aller au bureau pour recompter ce qu’il reste dans le carton de goodies
  • Constituer des box sur-mesure avec de nombreux cadeaux (pas forcément personnalisés mais toujours de qualité) et les envoyer ensuite au domicile des collaborateurs
  • Proposer une alternative novatrice lors de forums recrutement 100% en ligne : nos clients peuvent ainsi offrir aux candidats des crédits à dépenser sur leur boutique d’entreprise (ou d’échanger ces crédits contre un don à une asso s’ils ne veulent pas de produits car on n’aime pas trop le gaspillage)

C’est ainsi que nous avons eu la chance d’apporter un peu de réconfort à des dizaines de milliers d’employés en France. Nous avons par exemple accompagné LIVI dans la création d’une box cocooning pour remercier leurs médecins qui ont assuré les télé-consultations lors de la première vague.

On est bien sûr aussi très fiers des kits bien être à la maison que nous avons faits pour Free, Airbnb ou encore Meetic 🙂

C’est parce que nous avons fait ces choix et que nous avons mis en place ces solutions, que nous avons pu finalement transformer 2020 en une véritable année de succès :

  • 100% de croissance et rentabilité atteinte
  • 48 nouveaux clients dont Pumpkin, Qonto, Doctolib, Ledger…
  • 80.000 arbres plantés grâce aux commandes de nos clients

Pour résumer :

  1. Mesurez l’ampleur des dégâts
  2. Assurez votre longévité
  3. Adaptez-vous à votre nouvel environnement

Et vous, qu’avez-vous mis en place dans votre entreprise pour passer cette crise ?

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Adrien

Passionné d’innovation, d’écologie et de science-fiction. Toujours à la recherche de nouvelles idées pour avoir un impact positif sur le monde. CEO @panopli.co